BOIS D'EBENE
Si l’été est pluvieux et morne
si le ciel voile l’étang d’une paupière de nuage
si la palme se dénoue en haillons
si les arbres sont d’orgueil et noirs dans le vent et la brume
si le vent rabat vers la savane un lambeau de chant funèbre
si l’ombre s’accroupit autour du foyer éteint
si une voilure d’ailes sauvages emporte l’île vers les naufrages
si le crépuscule noie l’envol déchiré d’un dernier mouchoir
et si le cri blesse l’oiseau
tu partiras
abandonnant ton village
sa lagune et ses raisins amers
la trace de tes pas dans ses sablesle reflet d’un songe au fond d’un puits
et la vieille tour attachée au tournant du chemin
comme un chien fidèle au bout de la laisseet qui aboie dans le soir
un appel fêlé dans les herbages?
Nègre colporteur de révolte
tu connais les chemins du monde
depuis que tu fus vendu en Guinéeune lumière chavirée t’appelle
une pirogue livide
échouée dans la suie d’un ciel de faubourg
Jacques Roumain